Traduction de Zacharie Adjemien Kobenan
CE N'EST NI LA FIN NI LE DÉBUT
Monsieur Luís discute avec Madame Ana, ils sont assis côte à côte dans le jardin de l'immeuble, sans masque, sans distanciation, sans mâcher ses mots. Pour les deux, c'est "leur" faute, c'est la faute de ces fils de pute, Trump et les Chinois, et les emmerde tous. En raison de toutes les conneries qu'ils ont faites, car il suffit de regarder les saisons qui sont perturbées, les arbres qui ne fleurissent pas et les oiseaux qui ne chantent plus comme avant.
Depuis la fenêtre ouverte du bureau qui donne sur le jardin, des questions descendent et des réponses, pleines de certitudes et annonces de punitions remontent.
J'ai un fichier Word ouvert, qui attend un roman, et ni le temps libre, ni la maison fermée, ni la croyance renforcée dans le pouvoir salvateur des tonnes de livres peuvent l'écrire pour moi.
Dans vingt minutes, un cours sur Zoom, sur la "dégradation des peintures murales", les élèves sont fatigués et moi aussi, pas à cause du virus qui est nouveau, ni de l'expérience qui n'a jamais été tentée, nous sommes fatigués de nous-mêmes, de nos visages numérisés, des mêmes scènes de livres et des mêmes photographies encadrées. Chez chacune de nos maisons, les conversations tournent en rond comme des oiseaux noirs autour d'un moribond ; certains se parlent à eux-mêmes dans des pièces fermées, dans des appartements conçus pour ne pas y rester. Les infections et les décès sont les seules nouvelles, aucune bonne nouvelle ne peut commencer par "aujourd'hui le nombre de morts...".
Contrairement à Monsieur Luís, je vois des oiseaux que je n'ai jamais vus et j'essaie d'imiter leur chant, je leur envie tout, même de ne pas être des hommes.
Des images des canaux de Venise désormais peuplés de dauphins et de cygnes circulent sur Internet. C'est un mensonge, un montage, les quelques mois de confinement ne compensent pas les siècles de pollution, de bruit et de circulation des gondoles et des vaporetti. Le temps des animaux n'est pas mesuré par nous ou par nos angoisses, ils savent bien quand ils doivent revenir.
Après le cours, je sors faire une "promenade hygiénique", comme le dit le Premier ministre, et il a raison. Lors des derniers mois, j'ai fini par connaître toutes les rues, tous les chemins et les sentiers du petit village où je vis. Je sais où pousse le fenouil, le poireau perpétuel et le Neomarica caerulea. Je sais où s'arrêtent les aubépines monogynes, les oiseaux et les passériformes. Je sais à quelle heure le monsieur aux cheveux gris passe à un rythme militaire, je connais les parcours de la vieille dame qui traîne une jambe. J'ai aussi parfois vu le couple d'aveugles qui se tient par les bras sur le chemin de l'arrêt du bus.
Le monde est tellement diversifié, tellement riche et tellement complexe aussi bien dans ces quelques kilomètres carrés que dans le reste de la planète.
Rosarinho est folle et saute par-dessus les murs des voisins pour voler des plantes qu'elle replante dans un jardin bizarre. C'est un crime beau et sans conséquence, Rosarinho aime les cactus et les plantes robustes, celles que certains appellent les esclaves et qui peuvent résister à tout, même à la négligence ou à une attention excessive.
Des hommes passent des heures dans leurs voitures face à la mer avec leur radio allumée, j'aimerais savoir ce qu'ils pensent, mais la vérité, c’est que je pense le savoir.
De retour à la maison, une réunion également sur Zoom et ensuite un autre cours. Monsieur Luís et Madame Ana restent assis dans le jardin, il étale un torchon sur le sol et sort du pain, du chorizo, du fromage et une bouteille de vin d'un sac de Pingo Doce. Madame Anna interrompt son tricot, met la bouteille à la bouche et laisse échapper avec joie : "Ah, putain !
Né à Figueira da Foz (Portugal), Nuno est chercheur et professeur des universités. En 2011, il publie son premier roman, No Meu Peito Não Cabem Pássaros, également paru au Brésil et en France. Il a écrit pour la prestigieuse Nouvelle Revue française, dans la rubrique Un mot d’ailleurs, et plusieurs de ses articles ont paru dans des magazines nationaux et étrangers. En 2012, il remporte le prix LeYa pour son roman Debaixo de Algum Céu, déjà traduit en italien et bientôt en français. En 2015, il fait paraître un recueil de nouvelles, Se Eu Fosse Chão, et tente sa première incursion dans la littérature jeunesse avec Não Acordem os Pardais, un livre illustré par Rosário Pinheiro. Son dernier roman s’intitule O Fogo Será a Tua Casa (Dom Quixote, 2018).
Ayant obtenu une Licence en Langues, Littératures et Civilisations Étrangères et Régionales Espagnol et Portugais, à l’Université Jean Monnet, débute cette année un master en Rédaction et Traduction dans la même université. Pendant sa troisième année de Licence Zacharie a effetctué une mobilité Erasmus à l’Université de Porto où il a confirmé son goût pour le monde de la traduction. Par ailleurs, il a une expérience à l’international du fait de ses inombrables voyages en Afrique et en Europe.
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